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Thomas Piketty : « L’Europe doit inventer une géopolitique sociale, économique et climatique »

Sans surprise, les débats avant les élections européennes ont été marqués par les enjeux géopolitiques : guerre en Ukraine et à Gaza, tensions croissantes entre le monde occidental et le bloc Chine-Russie, qui entend bien accroître son influence au sud et étendre le cercle des BRICS+ [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie et Iran] à de nouveaux pays. Pour certains, la cause est entendue : l’avenir de l’Europe sera kaki. Confrontée à la menace russe, l’Union européenne (UE) n’a d’autre choix que de se muscler militairement et d’accroître massivement le budget de ses armées, que d’aucuns voudraient voir passer de 1,5 %-2 % du revenu national actuellement à 3 % voire 4 %.
Rien n’indique cependant qu’une telle perspective soit réaliste ni même souhaitable. D’abord, parce que les budgets militaires occidentaux sont d’ores et déjà considérables et gagneraient surtout à être mieux mobilisés. Ensuite, parce que l’Europe serait mieux inspirée de mettre ses richesses et sa puissance au service d’objectifs sociaux, éducatifs, scientifiques et climatiques. Enfin et surtout, parce que l’Europe doit tenter d’influer sur les autres pays par le biais des sanctions économiques et financières, du droit et de la justice sociale davantage que par des moyens militaires. Au lieu de tomber dans les facilités de la géopolitique kaki, l’Europe doit inventer une géopolitique sociale, économique et climatique.
Rappelons tout d’abord que les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) sont collectivement beaucoup plus puissants économiquement et militairement que la Russie. Leur produit intérieur brut cumulé est dix fois plus élevé et leurs capacités aériennes cinq fois plus importantes. Le problème est que l’OTAN a décidé de laisser la Russie bombarder le territoire ukrainien autant qu’elle le souhaite, y compris en massacrant des populations civiles et en détruisant des habitations et des infrastructures énergétiques.
Avec les capacités aériennes dont elle dispose, l’OTAN pourrait décider d’imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine. A partir du moment où il s’agit de défendre le territoire ukrainien et en aucune façon d’attaquer le territoire russe, une telle mobilisation des moyens à la fois humains et matériels de l’OTAN serait légitime. Prêter quelques avions ou batteries antiaériennes à l’Ukraine ne sera pas suffisant, car cela prend des années de former des pilotes et personnels qualifiés. En tout état de cause, l’Ukraine restera en infériorité démographique massive face à la Russie.
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